• Les botuliens rencontrent (en ligne) Marc Nammour !

    Petite présentation rapide, pour ceux qui ne te connaîtraient pas : né au Liban à la fin des années 70, tu débarques en France à l'âge de 8 ans. Aujourd'hui, tu vis à Montreuil, en région parisienne, pour te consacrer à la musique, notamment au groupe La Canaille, qui a sorti cette année son troisième album, La Nausée. Avec La Canaille, tu donnes une voix aux ouvriers, aux femmes, à la jeunesse, mais aussi dernièrement aux plus âgés ; à travers une poésie « qui schlingue », tu laisses donc se répandre, en une époque nouvelle, l'odeur de charbon des combats ouvriers, et continues à faire planer au-dessus de tes lignes (tes vers?) les cris des barricades.

    Pour nos fidèles et nombreux lecteurs :

     https://www.facebook.com/lacanailleofficiel

    La colère qui se dégage de tes lignes renvoie un écho fidèle de la rage des anciens, dont celle d'Aimé Césaire, symbole de l'indignation d'un « Nègre » contre les souffrances qu'a subies le peuple qui l'a vu naître. Un écho, donc, venu de si loin, dans l'espace et le temps, qui pourtant ne cesse de revenir à nos oreilles, signe d'un combat qui est loin d'être achevé.

    Plus qu'un hommage, Le Projet Césaire, aux côtés de Serge Teyssot-Gay à la guitare et Cyril Bilbeaud, réanime le cri du poète et le fait vivre par la lecture du Cahier d'un retour au pays Natal.

     

    Peux-tu, tout d'abord, présenter le texte, tel qu'il t'est apparu à la toute première lecture ?

    Marc Nammour : J'avais 18 ans lorsque je l'ai lu pour la première fois. Je n'étais encore pas très formé à la poésie ou à la littérature en général. Donc je n'ai pas pu percevoir toute sa portée mais j'ai été tout de suite touché par sa puissance. Ce cri qui s'élevait des bas fonds des Antilles. Un cri d'émancipation. Une colère qui me semblait légitime mais dont je ne comprenais pas tous les tenants et les aboutissants. Surtout que la langue de Césaire est très pointue avec des métaphores et des effets de style alambiqués. Même des mots inventés... Mais je sentais que pour moi il y aurait un avant et un après cette lecture. Que s'ouvrait devant moi un nouveau champ des possibles, une nouvelle source d'inspiration salvatrice qui m'aidera au quotidien pour combattre ce sale complexe d'infériorité propre aux immigrés et aux classes populaires.

    Peux-tu aussi me dire ce que t'évoque le titre, Cahier d'un retour au pays natal ?

    Le titre ne m'évoque pas plus que ce qu'il veut dire. Un recueil de pensées lorsqu'il retourne sur la terre où il est né... Même s'il ne l'a pas écrit là-bas mais à Dubrovnik. Ça fait référence aux racines, mais des racines errantes, itinérantes, des racines que nous transportons partout. Ce pays natal il est aussi intérieur, c'est l'histoire, notre histoire et celle de nos semblables.

    Pourquoi Aimé Césaire, et pourquoi le Cahier ?

    Parce que c'est la première pierre à l'édifice du mouvement de la négritude. Un monument poétique contre la singerie du nègre, contre l'assimilation et les horreurs du colonialisme. Qui exhorte le noir à se lever et prendre son destin en main. Qui retourne l'insulte « nègre » pour en faire un drapeau. Mais la négritude, et c'est là toute la force du propos de Césaire, c'est aussi « l'indianitude », « l'arabitude », c'est partout l'opprimé, le paria, l'ostracisé, le bouc émissaire, le souffre douleur, l'exploité.

    Comment, selon toi, intégrer l'histoire coloniale et la situation post-coloniale de la France d'aujourd'hui dans un projet de société libertaire ?

    Je laisse ce genre de questions aux grands penseurs, philosophes et théoriciens de notre époque. Tout ce que je peux affirmer c'est que nous avons le devoir de mémoire. Pour ne jamais oublier, pour se redéfinir, pour faire le lien entre les luttes passées et présentes. Pour éviter de tomber dans les mêmes écueils et pilonner les rangs de la bêtise.

    A la lecture du texte, je me suis senti pour ma part assez déchiré entre deux sentiments qui, selon moi, sont aussi ceux du narrateur (d'Aimé Césaire) : la colère exprimée est certes dirigée contre l'esclavagiste, l'oppresseur et contre toute une histoire pesante d'asservissement ; mais n'est-elle pas aussi dirigée vers les opprimés eux-mêmes, tels que Césaire les voit à son époque ?

    Césaire était en colère. Il voulait réveiller les consciences du peuple noir. Effectivement il y a des passages adressés aux « bons nègres à leurs bons maîtres ». Ceux qui ont renié leur identité, qui acceptent l'affreuse image que les blancs leurs ont renvoyé en tambourinant leurs crânes tondus. Ceux qui clopinent de petitesses en petitesses. Ceux qui se sont fourvoyés et « ont perdu leurs zébrures en une rosée de lait frais ». Ceux qui alimentent consciemment ou inconsciemment les rouages de l'exploitation.

    La lecture que tu fais du texte montre bien son évolution, qui nous plonge d'abord dans ce décor pacifique des Îles, pour rapidement plonger le lecteur dans une profonde indignation lorsque surgit le mot « Nègre », comme une sentence, une rupture. Peux-tu me parler de ce lien, extrêmement fort, entre le poète et le lecteur, qui fait du mot – et non seulement du mot mais aussi de l'ensemble d'une œuvre – un véritable acte politique ? Qu'est-ce que ce choc, lorsqu'on entend ce mot, Nègre ?

    Dans cette lecture musicale c'est la première fois que je scande des mots qui ne sont pas les miens. Je suis avant tout un auteur. Je ne suis pas un interprète. Pour avoir envie de porter cette parole, il fallait vraiment que je me retrouve dans chaque virgule du texte, au point d'avoir l'impression que ces mots sont les miens. Que je sois ce nègre ou en tout cas que je le devienne. Une fois que je suis chargé de ça émotionnellement, je n'ai plus qu'à me laisser porter par les mots. Ils sont tellement justes et beaux qu'il n'y a qu'à les prononcer pour faire mouche. Et le nègre comme dit précédemment c'est bien sûr le mulâtre, le noir Banania, le nègre du commerce triangulaire, tant de références qui font froid dans le dos. Alors c'est sûr que quand ce mot arrive il glace le sang. Mais le nègre c'est aussi le prolétaire. Puisque ce texte est un cri d'émancipation, puisque l'étau se ressert de plus en plus autour du cou des fils de rien, la force et la pertinence politique de remettre au goût du jour cette parole paraît élémentaire pour ne pas dire nécessaire.

    Bien sûr, ce n'est pas seulement une lecture, puisqu'elle est mise en musique. Sur ce point, peux-tu me parler de cette collaboration avec Serge Teyssot-Gay et Cyril Bilbeaud, et m'expliquer comment elle est née ?

    On s'est rencontré lors du festival littéraire le goût des autres au Havre en 2012. On avait carte blanche pour mettre en musique un texte des poètes de la négritude. On a choisit le Cahier. Musicalement la rencontre s'est faite en public lors de la clôture du festival. On s'était interdit de répéter avant. On y est allé en totale impro. C'était un vrai parti pris artistique et politique. À nue, à l'écoute, en tension, centré sur ce qu'on défendait, sur cette parole chargée de souffrances mais aussi de rêves et de révoltes. Musicalement Serge et Cyril se connaissent très bien mais pour ma part c'était la première fois qu'on travaillait ensemble. Ça a été magique. À la fin de la lecture il y a eu ce silence de deux, trois secondes avant d'entendre progressivement la salle se lever et manifester son émotion. J'adore ce genre de moments car ce ne sont pas des applaudissements automatiques.

    Tout comme la lecture montre l'évolution du texte (en retardant l'arrivée du « Nègre » tout en le faisant hanter l'ensemble du spectacle), la musique plonge la salle dans une atmosphère un peu dérangeante, pesante, que tu accentues par le jeu que tu fais avec la lecture (ton entrée en scène, notamment). Qu'est-ce que la musique apporte à un tel texte ? Qu'est-ce que CETTE musique, celle de tes compagnons de scène, apporte au texte ?

    Sur scène on se nourrit mutuellement. La moindre note, le moindre son, la moindre respiration va avoir une incidence sur le jeu des autres puisque nous nous réinventons à chaque date. La musique est au service des mots. Elle peut prendre le contre-pied ou renforcer la pensée. Elle peut être minimaliste comme hyper sonique. Elle peut tordre l'ambiance ou être douce et mélodieuse. Ce n'est pas une succession de titres mais un titre d'une heure et demi où on joue aux montagnes russes avec les oreilles de l'auditeur. La musique qui en ressort donne de la puissance aux mots, propose un lit pour qu'ils résonnent. Alors oui c'est souvent tendu, pesant, dérangeant, mais comment envisager une autre ambiance sur cette prose. C'est un spectacle profondément vertical. Nous sommes là pour faire entendre la rage de Césaire avant tout et la musique en est imbibée.

    Cette question me permet (quelle maîtrise) de changer de sujet, si tu le permets. D'ailleurs, ce n'est pas vraiment un changement, puisque j'aimerais te parler de La Canaille maintenant, et particulièrement de ton dernier album, La Nausée. Est-ce vraiment autre chose ? Je veux dire, on sent bien la parenté de cet album avec le Projet Césaire, et la cohérence avec ce que tu as pu faire avant. Mais tes textes semblent davantage parlés, et on entend cette intonation que tu donnes à la lecture de Césaire. Comment expliques-tu cette évolution ? Est-ce particulièrement Césaire qui t'a influencé récemment, ou est-ce un mouvement plus général ? (Désolé, les questions sont de plus en plus longues, et de moins en moins claires!)

    Effectivement je n'ai pas du tout l'impression de me placer différemment. Je suis dans la continuité, au sens de défendre une direction artistique poétique, politique et subversive. Le fait de porter cette langue avec cette richesse et cette pertinence te renvoie forcément avec ce que tu écris. Donc forcément ça a influencé mon écriture, comme d'ailleurs toutes les lectures qui m'ont marqué. Le plus marquant peut-être a été l'usage de l'écriture en prose. J'ai commencé à écrire en prose avec l'Opérap que j'ai écrit en 2012. J'ai eu beaucoup de plaisir et trouvé que ça correspondait bien avec ce que j'avais envie d'exprimer. J'ai donc continué avec le troisième album de La Canaille, écrit moitié en prose moitié en rime. Je suis toujours en recherche afin de ne pas me répéter. Et puis la prose permet de toucher autrement. Tu choisis le mot non pas par son son mais par son sens. Tu es plus libre rythmiquement, donc les mots se prononcent différemment. Il y a plus de respirations. C'est plus parlé, avec la proximité d'une discussion de comptoir avec l'auditeur et je trouve ça intéressant.

    On te sent, dans ce dernier album, plus proche de la place publique : tu sors davantage de l'usine, pour te pencher sur une France fragile et meurtrie. Pourquoi passer du particulier (l'usine et son individu l'ouvrier, comme dans Le Dragon), au plus général (Jamais Nationale, même si elle est écrite à la première personne, s'inscrit complètement dans un contexte politique et apparaît comme un message publique) ?

    Je n'ai pas ce sentiment. J'ai toujours raconté des histoires, dressé des portraits ou balancé des coups de gueules. Je me suis toujours inspiré de l'actualité, de l'air du temps, de la condition des petites gens. Je ne déroge pas à la règle sur ce dernier album, sauf que je pousse le bouchon encore plus loin musicalement comme au niveau de l'écriture. Parce que je progresse, parce que mes expériences poétiques me nourrissent et me poussent à devenir de plus en plus exigeant avec moi même. Mais je reste toujours dans mon rôle de chroniqueur, de photographe qui prendrait des clichés de moments et qui les partage avec qui veut bien l'entendre.

    Quelque chose se prépare, c'est le titre d'une de tes dernières chansons. On peut aussi évoquer Le soulèvement aura lieu, de l'album précédent : même lorsque tu chantes la colère, la rage, « chez moi l'ambiance est bien trop morne » dis tu aussi dans Briller dans le Noir, tu montres aussi cet espoir auquel tu t'accroches, celui que quelque chose se prépare. Qu'est-ce qui te pousse à espérer (à être certain, peut-être?), qu'un soulèvement aura lieu ?

    L’espoir est toujours dans la lutte. Le combat est quotidien qu'il soit social ou personnel. Pour nous rien n'est acquis. Il faut se battre pour tout. Pour nourrir sa famille, pour s'élever, pour s'instruire, pour changer le monde, pour sortir un disque... C'est quelque chose que mes parents m'ont transmis. Si ça pète je reconstruis. Tout ce que tu obtiens c'est à la sueur du front. Les passes droits n'existent pas, pas de fleurs ni de tapis rouge chez nous, plutôt des bâtons dans les roues. Voilà pourquoi je ne me résignerai jamais, sinon c'est la mort ou la défaite assurée. Moi je veux vivre et je suis un très mauvais perdant, alors je me bats sans relâche avec cette phrase qui résonne dans ma tête : plutôt vivre un jour comme un lion que cent comme un chien.

    Pour terminer, j'aimerais que tu me parles de ton engagement, de tes convictions, qui envahissent tes morceaux : pourquoi les libertaires ? Qu'est-ce qu'être libertaire, aujourd'hui, et comment vis-tu ton combat ?

    Honnêtement je n'ai pas vraiment d'étiquète politique précise mais je me reconnais dans les valeurs d’extrême gauche. Je constate une lutte des classes de plus en plus violente, je suis profondément athée, anti-capitaliste, humaniste, et par les temps qui courent je suis bien évidemment révolutionnaire.

    Après quelle doit être la place de l'état dans tout ça, puisque c'est cela qui différencie les communistes des anarchistes, je n'en sais rien. Je n'aime pas les guerres de chapelle, j'aime quand cette petite minorité politique se réunit dans les luttes.

    Quand tu vois le barouf (légitime) que déclenche la mort de Rémi Fraisse dans les rangs des militants, n'es-tu pas dégoûté que les assassinats de la police dans les banlieues (et ailleurs) de pékins "ordinaires" ne fassent pas plus de vagues que ça?

    Quand la police tue, et elle tue de plus en plus malheureusement, et que des pauvres comme par hasard, je fais partie des voix qui s'insurgent avec force contre les auteurs du crime et qui réclament justice. Et là c'est David contre Goliath. Le silence autour de ce genre d'affaires ne m'étonne pas du tout. La désinformation n'est pas nouvelle et s'accentue à mesure que la misère progresse. Normal, c'est un désaveu total de l'imagerie de la police bienveillante que voudrait nous faire passer nos chers gouvernements. Mais je ne veux pas faire de l'anti-flic primaire, la réalité est plus complexe que ça. Néanmoins la célèbre phrase : « La police nous protège mais qui nous protège de la police » paraît de plus en plus pertinente aujourd'hui.

    Toujours dans le même ordre d'idée, et en ayant en tête et ton engagement contre le dogme religieux, et un bout d'un de tes textes (« Crier révolution ne fais pas de toi un révolutionnaire »), que penses-tu de ces gens qui soutiennent les rebelles du Chiapas sans poser de questions sur leur spiritualité, mais qui ne veulent pas aller en banlieue parce que l'Islam est "omniprésent" ?

    Je pense qu'on a besoin de tous les bras et de toutes les têtes possibles. Que ce soit dans les banlieues ou ailleurs l'heure est à occuper le terrain. À se souder les coudes, à s'organiser pour construire de meilleurs lendemains. Donc je salue toutes les initiatives qui iraient dans ce sens. Je ne veux ni dieu ni maître parce que je considère que c'est le meilleur moyen pour vivre ensemble. Je constate un retour à l'obscurantisme frappant et surtout dans les quartiers populaires. Laisser l'enceinte de ces zones désolées aux religieux de toutes sortes comme c'est ce qu'il se passe en ce moment est une grossière erreur. Je constate qu'il n'y a presque plus de centres de santé par exemple mais de plus en plus de temples pour chanter la gloire d'une idole. C'est terrible. Ce n'est pas comme ça que la condition ouvrière va pouvoir progresser, et surtout la condition des femmes. On a besoin de plus de conscience politique pour ne pas dire de classe pour s'imposer contre cette minorité qui nous exploite, nous asservit et nous divise pour mieux régner. La religion à mon sens ne met que de l'huile de coude à cet odieux mécanisme de réduction.

    Je te remercie, les millions de visiteurs de notre blog te remercient également, pour ton attention et le temps que tu as pu accorder à cette interview ! Quelque chose à ajouter, pour me montrer que je ne pose pas les bonnes questions ?

     

    Achetez les disques de la scène indé et venez la voir en concert. Il n'y a que comme ça que vous lui permettrez de continuer d'exister et de résister à ce rouleau compresseur qu'est l'industrie de masse. À bon entendeur salut !

     

     


  • Commentaires

    1
    Vendredi 15 Avril 2016 à 09:44

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